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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 12:07

  

Extrait du journal Genista

Un des jours qui ont le plus marqué ma mémoire est celui où j'ai conduit mon cousin François à Perpignan pour une consultation chez un médecin O.R.L. L'histoire est longue mais elle vaut la peine d'être racontée.

François était un cousin germain qui avait à peu près l'âge de ma mère ce qui fait que je l'avais toujours appelé "Tonton". Il était tellement grand que les habitants de Banyuls l'avaient surnommé el llarg, ce qui en Catalan signifie « le grand ». Il avait des mains grandes comme des battoirs et des poils comme les sangliers qu'il traquait même pendant la fermeture de la chasse, ce qui lui valait de nombreuses et pénibles confrontations avec les gardes-chasse et les autres chasseurs du village. C'était le roi des braconniers ! Certains « estivants » l'appelaient aussi l'homme des bois.

Un jour d'août il me demanda de l'accompagner à Perpignan pour aller en consultation chez un « spécialiste des oreilles » car il devenait de plus en plus sourd et que la main qu'il plaçait en conque contre son oreille pour mieux entendre ne suffisait plus. Comment aurait-il pu continuer ainsi sans entendre son chien aboyer pendant les parties de chasse ? J'étais forcément chargé de choisir moi même le jour, l'heure et l'O.R.L. Le jour dit — je m'y revois encore — me voilà parti en voiture au Puig del Mas vers 13 heures pour l'amener à Perpignan. Je venais de faire l'acquisition d'une superbe voiture BMW avec autoradio stéréo et j'avais acheté une cassette dont l'effet stéréo était parfait étant donné qu'il s'agissait d'un morceau de batterie dont on entendait les badaboums tantôt venant de droite, tantôt de gauche. Super !

Mon cousin s'installe, et le temps de me dire qu'il était encore plus sourd que la veille, nous voilà sous le pont du chemin de fer, direction la promenade, par le bord de la rivière. C'est là que j'ai soudain le temps d'engager ma cassette pour écouter le morceau de batterie dans le but de l'épater. Il saisit alors mon épaule et me dit d'arrêter la voiture, ce que je fais immédiatement. Le moteur et la cassette sont toujours en marche. Tendant l'oreille, il me regarde d'un air navré et me dit : « Petit, tu as coulé une bielle ».

Je dois vous préciser que toute notre conversation a été en Catalan d'un bout à l'autre du voyage. Tous les propos sont donc à traduire, pour ceux qui connaissent le Catalan. Ma déception fut à l'échelle du prix de la voiture et du lecteur de cassettes ! Dès que j'eus arrêté mon autoradio, il put convenir que le bruit qu'il avait entendu avait disparu et que mes bielles, du moins celles de ma voiture, étaient intactes. Je connaissais bien Oriol, l'O.R.L., qui était un ami. Il nous reçut rapidement et j'assistai à toute la visite.

J'étais loin de m'attendre aux réactions de François. Il fut soumis aux tests d'audition classiques de l'époque. L'un d'eux consistait à demander l'âge du sujet en parlant avec une voix d'intensité de plus en plus faible pour chercher l'intensité à laquelle le malade ne comprenait plus la question posée. C'est ainsi que le docteur Oriol lui demanda cinq fois, de plus en plus faiblement : « Quel âge avez vous, Monsieur Vergé ? » À chaque fois François répondait : « 50 ans, docteur ». Lorsque Oriol partit pour aller chercher les instruments nécessaires pour déboucher ces gigantesques oreilles, François me fit signe de m'approcher et me dit à voix basse : « Qu'il est sourd, cet homme ? » Comme je ne comprenais pas le sens de cette question il ajouta : « Voilà cinq fois qu'il me demande mon âge ! ». Je restai muet de stupéfaction !

Le docteur retira des oreilles velues de mon cousin deux énormes bouchons de cérumen à propos desquels il avoua que leur volume était inhabituel. Il admit toutefois qu'une personne de grande taille et avec de tels conduits auditifs externes avait le droit de posséder des bouchons proportionnés. Une surprise m'attendait encore, la dernière. Alors que le docteur rangeait ses instruments dans la pièce voisine mais que les deux bouchons étaient restés près de nous, François me fit à nouveau signe discrètement. Je m'approchai. Il me dit à l'oreille : « Ces bouchons ne sont pas à moi. Il les a sortis de sa boîte et il les montre à tous ses clients pour leur faire croire qu'il a fait quelque chose. Regarde-les bien, ils ne peuvent pas entrer dans mes oreilles, ils sont trop gros ». Bien qu'il entendît à nouveau très bien, il n'était pas content de savoir que le docteur avait cherché à le tromper. On ne trompait pas François !

Tout se termina très bien puisque Oriol refusa d'être payé, étant donné que j'avais accompagné mon cousin. Justice lui était rendue. François, se croyant trompé, ne payait pas le trompeur. Je n'essayai même pas de remettre ma cassette au retour car tous les nouveaux bruits qu'il percevait avec ses oreilles toutes neuves lui cassaient la tête. « Si j'avais su, me dit-il, je ne serais pas venu voir cet homme. J'étais mieux avant ».

François est mort il y a de nombreuses années. Après ses oreilles, il y eut ses yeux. Le travail à la vigne, les désherbants, la vie rude qu'il menait, tant de raisons pour qu'il nous quitte ! Adieu François, je t'aimais bien, tu sais...  Albert Callis

Paru dans le N° 229 du Journal de Genista en janvier 1997.
("Genista Informations" : ISSN 0760-1484).

 

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commentaires

D
<br /> il faut laisser cuire encore, ce sera long bien chauffer le four ..pour les couleurs indélébiles il va de soi.. !!!<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Il y a une chanson qui dit "je voudrais changer les couleurs du temps"<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> je persiste et signe..j'ai lu l'histoire ailleurs bien présentée, cette couleur est difficile..je sais bien !! l'essentiel c'est le texte, cependant une bonne présentation bien lisible aide, la<br /> boite et ce qu'il y a dedans c'est un tout...en jaune ou en vert et même en bleu ce serai plus " attirant" pour nos yeux, pour mes yeux<br /> bises mon ami...<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Par une progression lente et contrôlée je suis arrivé au rouge. Théoriquement l'oeuvre de l'Alchimie se termine par le blanc.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> ben !!! mon copié-collé je le fais sur une page ensuite je le place sur le blog et je choisis les couleurs !! C'est simple quand on a compris, ou que quelqu'un vous a bien expliqué... Merci pour<br /> l'histoire !<br /> <br /> <br />
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D
<br /> bonjour...je lirais plus tard car le rouge n'est pas heureux pour les yeux!. c'est bien un peu d'écriture,permet de mieux connaître l'auteur et dépasser les frontières car ce que vous nous écrivez<br /> est bien réel .<br /> il y aura d'autres histoires j'espère ! continuez ainsi... Amitiés<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Le copie-collé laisse tout le gris du surlignage alors en mettant les lettres en rouge on arrive à lire. Ouf !<br /> <br /> <br /> Moi j'aime le rouge car j'ai un petit trouble de la vision des couleurs.<br /> <br /> <br /> <br />

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